Aux origines de notre calendrier : 
dix jours volés pour des siècles d’ordre

1. Avant Grégoire : un calendrier… sérieusement en retard

Avant la réforme de Grégoire XIII, l'Europe s'appuyait sur le calendrier julien, instauré par Jules César en 46 av. J.-C. Ce système, reposant sur une année de 365,25 jours (soit une année de 365 jours et un jour bissextile tous les quatre ans), ce qui était déjà une amélioration par rapport aux cycles lunaires romains qui posaient de sérieux problèmes pour synchroniser les saisons et les activités agricoles.

Mais un défaut majeur subsistait :


L'année julienne est en réalité plus longue que l'année solaire (année tropique réelle : 365 jours, 5 heures, 48 minutes, 45 secondes, soit ~365,24219 jours, oui de quoi se tirer les cheveux et avoir parfois de gros jetlag). La différence, bien que minime (environ 11 minutes et 14 secondes par an), causait une dérive régulière. Sur des siècles, l'écart devenait considérable : au bout de 128 ans, il y avait déjà une journée entière de retard, et après plus d'un millénaire, les fêtes religieuses et les repères saisonniers dérivaient nettement du cycle réel du Soleil.

À Rome, déjà, ce problème était ressenti dans la vie quotidienne. Cicéron, dans ses correspondances, s’en plaignait : « On ne sait jamais si l’on est au début ou à la fin de l’année. »

Cette instabilité compliquait énormément l’organisation des semis agricoles, du calendrier des fêtes religieuses (comme Pâques) et même de la validité des contrats civils. Quand le printemps finit par tomber au début de l'été, il devient difficile de « fêter la renaissance de la nature » de manière cohérente avec le temps réel.

Ce décalage n’était pas seulement théorique : on peut suivre la dérive de Pâques comme un fil rouge dans le glissement du calendrier.

En 325, lors du Concile de Nicée, l’Église fixe la célébration de Pâques au printemps, autour de l’équinoxe, c’est-à-dire le 21 mars.

Mais vers l’an 1000, le calendrier julien a déjà pris environ sept jours de retard, et Pâques se célèbre désormais vers le 28 mars.

En 1500, la dérive s’est encore accrue : la fête tombe autour du 11 avril, bien après l’équinoxe fixé au départ.

C’est ce décalage, à la fois astronomique, symbolique et spirituel, qui pousse finalement l’Église à réagir. En 1582, la réforme grégorienne viendra rattraper dix jours pour rétablir l’équinoxe au 21 mars, comme un retour à l’ordre du ciel.

Ce glissement progressif mettait en péril le lien entre le calendrier liturgique, la nature et la vie sociale : d’où l’urgence, au XVIᵉ siècle, d’une réforme majeure.

 

2. Grégoire XIII et sa réforme radicale

En 1582, l’Église se voit confrontée à un problème insoluble : le calendrier julien, avec ses erreurs accumulées depuis plus d’un millénaire, fait dériver Pâques vers l’été. Or, selon le concile de Nicée (325), la résurrection du Christ doit se fêter au printemps : décalage théologique et embarras pour la liturgie.

C’est dans ce contexte que le pape Grégoire XIII, soutenu par l’astronome Luigi Lilio (concevoir la réforme) et Christopher Clavius (la défendre et la diffuser), opère une réforme qui façonne encore notre temporalité aujourd’hui.

Les deux mesures phares :

  • Suppression de 10 jours

Pour réaligner l’année civile sur les saisons, le jeudi 4 octobre 1582 fut immédiatement suivi du vendredi 15 octobre. Dans plusieurs pays catholiques (Espagne, Italie, Portugal…), la transition fut appliquée à cette date ; ailleurs, à d’autres moments du même automne. Ce bouleversement suscita de véritables protestations populaires :

  • « On nous a volé 10 jours de salaire ! »
  • Certains allèrent jusqu’à croire que leur vie avait été raccourcie.

 

  • Révision de la règle des années bissextiles

Désormais :

  • Sont bissextiles toutes les années divisibles par 4,
  • Sauf celles qui sont divisibles par 100 mais pas par 400.
  • Exemples :
    • 1600 : bissextile (car divisible par 400)
    • 1700, 1800, 1900 : non bissextiles (car divisibles par 100 mais pas 400)
    • 2000 : bissextile (car 400)
    • 2100 : non bissextile

 

L’ampleur de cette réforme fut saluée par Christopher Clavius lui-même, qui déclara :


« Nous avons réconcilié le ciel avec les tables de l’Église. »

En somme, au prix d’une réforme impopulaire mais mathématiquement rigoureuse, le calendrier grégorien pose les bases temporelles du monde moderne et relie durablement le cycle des saisons, le culte et la vie sociale.

 

3. Une adoption… au ralenti

Si le monde catholique appliqua sans tarder le calendrier grégorien dès octobre 1582 (Espagne, Italie, Portugal, Pologne…), les pays protestants et orthodoxes mirent beaucoup plus de temps à suivre. Il ne s’agissait pas simplement de changer une page dans l’agenda, mais d’accepter une réforme imposée par… un pape. Et dans une Europe fracturée par les guerres de religion, cela ne passait pas inaperçu.

L’Angleterre, par exemple, n’adopta le nouveau calendrier qu’en 1752, avec un retard de 170 ans. Pour rattraper l’écart cumulé, on supprima 11 jours d’un coup : le 2 septembre fut immédiatement suivi du 14 septembre. Cela provoqua une vive agitation populaire, et selon certaines sources (même si le ton est parfois exagéré), des voix crièrent dans la rue :

« Give us back our eleven days! »

En Suède, l’adoption fut encore plus… folklorique. Entre 1700 et 1712, le pays tenta de créer un calendrier hybride, entre julien et grégorien, mais sans cohérence. Résultat : en 1712, pour “remettre les pendules à l’heure”, les autorités ajoutèrent un 30 février à leur calendrier. Une date unique dans toute l’histoire de l’humanité.

Même au XXᵉ siècle, certains pays attendaient encore. La Russie bolchévique ne passa au grégorien qu’en 1918, après la Révolution. Ce qui explique pourquoi la Révolution d’Octobre… a eu lieu en novembre pour les Occidentaux. Enfin, la Grèce, dernier pays européen, franchit le pas en 1923.

Ce long processus révèle les tensions profondes entre science, foi et pouvoir politique. Car derrière ce calendrier universel se cachait aussi une guerre d’influence : accepter le grégorien, c’était reconnaître la mainmise de Rome sur le rythme du monde.

 

Chronologie synthétique de l’adoption

Période des Régions concernées

  • 1582 :Europe catholique (Espagne, Italie, Portugal…)
  • 1700-1800 : Pays protestants (Angleterre, Allemagne, Suède…)
  • 1900-1923 : Pays orthodoxes (Russie, Grèce…)

 

4. Un calendrier, champ de bataille symbolique

Ce lent et difficile processus d'adoption révèle une tension permanente entre science, foi, rites et pouvoir politique. Derrière la question du calendrier se jouait bien plus qu’un simple ajustement technique : il s’agissait d’une lutte d’influence sur le rythme même du monde occidental, chaque Église et chaque État cherchant à préserver son autonomie temporelle.

L’adoption du calendrier grégorien finit, malgré tout, par s’imposer comme le socle commun pour l’administration, l’économie et la vie quotidienne dans la quasi-totalité de la planète, aboutissant à l’unification (relative) de la mesure du temps à l’échelle mondiale.

Le calendrier grégorien s’impose aujourd’hui comme la référence civile universelle pour l’immense majorité des pays, principalement parce qu’il facilite la synchronisation des échanges internationaux, qu’ils soient commerciaux, diplomatiques ou liés aux transports. En 2025, 168 pays l’utilisent comme calendrier principal, et une vingtaine d’autres (dont l’Arabie Saoudite, l’Inde et l’Égypte) l’emploient officiellement pour l’administration et la vie civile, en parallèle de calendriers religieux ou traditionnels. Seuls quelques pays (Afghanistan, Iran, Éthiopie et Népal) ne l’ont pas adopté officiellement.

Cette adoption quasi mondiale s’explique avant tout par la nécessité d’un système stable et partagé :

  • gérer des vols internationaux,
  • organiser des événements mondiaux (Jeux Olympiques, G20…),
  • garantir la validité des contrats et des systèmes fiscaux.

Malgré sa domination, le grégorien n’est ni parfait, ni universellement exclusif.
De nombreux pays maintiennent leurs calendriers propres pour leurs grandes fêtes religieuses ou culturelles :

  • calendrier hégirien dans le monde musulman (pour le Ramadan, le Hajj…),
  • hébraïque en Israël (pour les fêtes juives),
  • bouddhiste en Thaïlande, Sri Lanka ou Cambodge,
  • lunaire-solaire chinois pour les fêtes traditionnelles en Chine, Vietnam, etc..

Des tentatives de réforme « rationnelle » (comme le calendrier républicain français) ou des systèmes alternatifs ont toutes échoué, car changer la structure du temps civil touche au plus profond des identités nationales, culturelles et religieuses. Le calendrier grégorien s’est donc imposé, moins pour sa perfection (il reste légèrement en décalage avec l’année solaire) que pour sa capacité à fédérer la planète autour d’une base temporelle commune.

Il reste ainsi, par défaut et par nécessité pratique, le fil conducteur du temps mondial, dans un contexte où la diversité des systèmes calendaires continue d’exister, mais où l’efficacité d’un repère partagé l’emporte dès qu’il s’agit d’économie, d’État ou de mondialisation.

 

5. Le poids d’un jour, le souffle d’un renouveau

La réforme du calendrier grégorien n’était pas qu’un ajustement technique : elle montre qu’un système, aussi ancien soit-il, peut être remis en question quand il ne tient plus la route. Il a fallu oser dire que ça ne fonctionnait plus, accepter de perdre dix jours pour mieux repartir, et surtout, avoir la lucidité d’aligner notre temps sur le réel.

D’autres grandes réformes ont suivi la même logique : le système métrique, qui a changé nos repères, ou la réforme de l’alphabet en Turquie, qui a bouleversé l’écriture d’un peuple.
Dans tous les cas, il a fallu laisser derrière soi ce qui semblait évident pour avancer vers quelque chose de plus cohérent.

Et dans nos vies aussi, il arrive un moment où il faut revoir son propre calendrier intérieur. Certaines dates, on ne les oublie jamais. Ce jour où tout s’est effondré. Celui où quelqu’un est parti, ou où quelque chose s’est brisé. Celui aussi où l’on a pris une décision, fait un serment, juré que plus jamais… Ces « journées symboliques » s’accrochent à nous comme des repères. Elles jalonnent nos mémoires, rythment nos émotions, parfois même nos silences.

Mais voilà : ces dates ne sont pas toujours de bonnes balises. Parfois, elles nous enferment. Elles deviennent un point de fixation qui nous fige dans un passé, une blessure ou une attente qui n’a plus lieu d’être. Il ne s’agit pas de les effacer, ni de faire comme si rien ne s’était passé. Il s’agit d’accepter que certaines pages ne doivent plus être relues chaque jour.

Comme Grégoire XIII a osé supprimer dix jours pour remettre les saisons à leur place, il nous arrive à nous aussi d’avoir besoin de faire un tri intérieur. Laisser derrière une date obsessionnelle, une promesse qui ne nous sert plus, une habitude qui ne colle plus à la personne que l’on devient. Supprimer une journée symbolique, c’est faire de la place. C’est permettre à d’autres repères d’émerger, plus souples, plus vivants, plus en lien avec qui l’on est maintenant.

C’est parfois ça, avancer : arrêter de tourner autour d’un jour qui nous retient, pour recommencer à vivre les jours qui nous attendent.

 

6. Une citation pour réfléchir

 

« Le temps est la plus longue distance entre deux endroits. » 

Tennessee Williams

 

18/07/2025

Des Mots et des Réflexions

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