Et si on parlait…
des “Cités-États” de la Grèce antique ?

On les cite souvent en histoire, mais sait-on vraiment ce qu’était, une “cité-État” ? Ce n’est pas juste une ville. Ce n’est pas non plus un État moderne. C’est un peu des deux, un hybride entre la ville et le pays, un microcosme politique, économique et culturel.
Une ville, un monde, une identité
Dans la Grèce antique, chaque polis était bien plus qu’une simple ville : c’était un petit monde à part entière, avec ses propres règles, ses dieux, ses fêtes et ses façons de vivre. On n’y habitait pas seulement, on y appartenait. Tout, des temples majestueux aux lois locales, des théâtres animés aux armées disciplinées, contribuait à façonner une identité commune, presque palpable.
Être Athénien, par exemple, ce n’était pas juste vivre à Athènes. C’était parler un dialecte particulier, célébrer des fêtes propres à la cité, croire en la force du débat et de la réflexion. C’était voir le monde à travers le prisme de la parole, de la philosophie et du goût pour la beauté. À l’inverse, être Spartiate, ce n’était pas simplement résider à Sparte : c’était grandir dans la rigueur, la discipline, valoriser la loyauté au groupe, préférer l’action aux grands discours.
Chaque polis élevait ses citoyens à son image, selon ses propres idéaux. Il n’existait pas de modèle unique ou de démocratie “clé en main” : chaque cité était un laboratoire où se construisait une identité singulière. Les mythes fondateurs eux-mêmes servaient à affirmer cette originalité. Athènes se voulait fille d’Athéna, déesse de la sagesse, tandis que Sparte se réclamait des descendants d’Héraclès. Ces récits n’étaient pas de simples histoires : ils donnaient du sens à la vie collective, créaient un sentiment d’appartenance et influençaient la manière dont chacun se voyait.
La polis, ce n’était donc pas seulement un territoire : c’était une façon d’être au monde, une vision partagée de ce qui était juste, beau et honorable. Cette vision était transmise, débattue, défendue, parfois même jusqu’au sacrifice ultime.
Athènes vs Sparte : deux visions du monde
Quand on évoque la Grèce antique, deux noms surgissent immédiatement, comme deux pôles opposés, presque mythiques : Athènes et Sparte.
(Et non, Troie ne fait pas partie des polis de la Grèce antique, je sais que tu y as pensé ! Troie, ou Ilion, était une cité majeure de l’Asie Mineure, l’actuelle Turquie, célèbre pour la guerre racontée dans l’Iliade d’Homère, ou, si tu préfères, la fameuse ruse du cheval de Troie. Elle n’était pas une polis grecque, mais une cité indépendante, avec sa propre culture, ses rois et ses dieux, même si elle a eu des contacts et des conflits avec les Grecs.)
Deux polis, deux mentalités, deux façons de voir le monde, si différentes qu’elles continuent d’alimenter nos livres, nos débats… et même nos écrans de cinéma.
Athènes, la cité des idées, le cœur battant de la démocratie directe. Ici, on vote à main levée sur l’agora, on débat, on écoute les orateurs comme Périclès, stratège visionnaire, qui affirmait que la démocratie n’est pas seulement un régime, mais un état d’esprit. C’est à Athènes que sont nés des penseurs qui nourrissent encore aujourd’hui notre façon de penser : Socrate, qui questionnait tout et d’abord lui-même ; Platon, critique de la démocratie mais rêveur d’une cité gouvernée par des sages ; Aristote, qui voyait dans l’équilibre des pouvoirs la clé d’un bon gouvernement. Athènes, c’était un carrefour d’idées, d’art, de rhétorique. Une cité où comprendre, c’était déjà construire.
Face à elle, Sparte résonne comme un écho martial. Ici, pas de débats : on obéit. L’éducation spartiate, l’agogé, formait des soldats endurcis, disciplinés, presque insensibles à la douleur. Le collectif primait sur tout. Pas de place pour l’individualisme, le luxe ou le théâtre. La liberté individuelle y était quasi-inexistante, sauf, paradoxe, pour les femmes, étonnamment plus libres qu’ailleurs en Grèce, garantes de la lignée des guerriers.
L’idée spartiate a traversé les âges, notamment à travers le service militaire moderne. Cette formation rigoureuse, centrée sur la discipline, l’endurance et l’obéissance, a inspiré de nombreuses armées à travers le monde. Le devoir civique de servir la cité, si cher à Sparte, se retrouve dans l’idée actuelle du service militaire obligatoire. De nombreuses armées perpétuent, consciemment ou non, cet héritage de rigueur et de sacrifice collectif.
Si Athènes est souvent citée en exemple pour ses avancées intellectuelles, Sparte fascine encore. On la retrouve dans des œuvres modernes comme “300” de Zack Snyder, inspiré de la bataille des Thermopyles, où 300 Spartiates se dressent face à l’armée perse. Certes, le film exagère, mais il saisit bien l’idéal spartiate : honneur, sacrifice, bravoure. D’autres œuvres, comme la série “Rome” ou le jeu “Assassin’s Creed Odyssey”, replongent aussi dans cette opposition entre raison et rigueur, logos et discipline.
Pourtant, malgré leurs différences, Athènes et Sparte ont su s’allier (face aux Perses) avant de se livrer une guerre fratricide, celle du Péloponnèse, qui les a affaiblies toutes les deux. Une leçon d’histoire, peut-être : quand deux visions s’affrontent sans dialogue, même les plus brillantes civilisations finissent par s’éteindre à petit feu.
Mais au fond, si elles s’opposaient, ces deux polis partageaient la même ambition : forger un citoyen au service d’un idéal. L’une pensait, l’autre agissait. L’une questionnait, l’autre exécutait. Deux visions du pouvoir, deux conceptions de l’ordre, deux écoles de vie.
Un modèle qui a marqué l’Histoire
Le modèle de la polis n’est pas resté figé dans l’Antiquité : il a traversé les siècles, laissant une empreinte profonde sur notre façon d’imaginer la vie politique, la citoyenneté, et même l’organisation de nos villes.
C’est au Ve siècle avant notre ère, à Athènes, que la démocratie directe a pris forme : les citoyens se réunissaient sur l’agora pour débattre, voter les lois et juger les magistrats. Ce système, certes réservé à une minorité (les femmes, les esclaves et les étrangers en étaient exclus, une organisation que l’on qualifierait aujourd’hui de patriarcale), a posé les bases d’une idée révolutionnaire : le pouvoir appartient à ceux qui s’impliquent dans la vie de la cité. Aujourd’hui encore, chaque fois que l’on évoque la démocratie, la participation citoyenne ou la séparation des pouvoirs, on fait écho à cette expérience fondatrice.
La polis a aussi façonné l’espace urbain. L’agora, place centrale animée par les échanges, les marchés, les débats et les fêtes, a inspiré le modèle de l’espace public moderne. Dans nos villes, la place du village, la mairie ou la grande place sont les héritières directes de ce cœur battant de la cité grecque. Une ville sans lieu de rassemblement, aujourd’hui, c’est presque une ville sans âme.
Mais l’héritage de celle-ci ne s’arrête pas à Athènes. Sparte, avec son système d’éducation militaire, l’agogé, a profondément marqué l’histoire de l’organisation collective et du service civique. L’idée d’un service militaire obligatoire, où chaque citoyen est appelé à défendre sa cité, trouve ses racines dans le modèle spartiate : discipline, esprit de corps, endurance et sens du devoir sont encore au cœur de la formation militaire moderne. De nombreuses armées à travers le monde perpétuent, consciemment ou non, cet héritage de rigueur et de sacrifice collectif.
Ce modèle a même survécu sous des formes inattendues. Des États comme le Vatican, Monaco ou Singapour sont, à leur manière, des polis contemporaines : de petits territoires, parfois réduits à une seule ville, mais dotés de leur propre gouvernement, de leur drapeau, de leur politique étrangère. Ils montrent que la taille ne fait pas la puissance, et que l’identité politique peut s’incarner dans un espace réduit mais intense.
Plus profondément, la polis nous rappelle que le sentiment d’appartenance ne se mesure pas au nombre d’habitants, mais à la force du lien qui unit les membres d’une communauté. À l’heure où nos sociétés cherchent à recréer du collectif et du sens dans un monde vaste et parfois impersonnel, cette leçon venue de la Grèce antique résonne avec une étonnante modernité.
Résilience : apprendre à gouverner sa propre “polis” intérieure
Et si, au fond, chacun de nous était une petite cité intérieure ? Un territoire secret, traversé de désirs, de doutes, de principes et parfois de vieilles blessures. Il y a en nous des voix qui discutent, d’autres qui s’imposent, et même, parfois, de véritables conflits civils (🖐️ pro des débats internes avec en option gestuelle et grimace). On a nos propres lois, celles que l’on respecte et celles que l’on transgresse, nos juges intérieurs souvent un peu trop sévères (on est toujours beaucoup trop sévère avec nous-mêmes, c’est fou ça), nos exils, nos révoltes. Et puis, au centre de tout ça, ce besoin de trouver un gouvernement intérieur juste.
Être résilient, ce n’est pas se forcer à ressembler à un modèle extérieur (ah non, tu es uniquement unique!). C’est plutôt devenir un bon stratège de soi-même, apprendre à gouverner sa propre cité avec lucidité. Comme dans les anciennes polis, il faut parfois convoquer une assemblée intérieure, écouter toutes les voix : celle qui voudrait tout laisser tomber (la n°12, elle me fatigue celle-là, toujours à argumenter pour tout lâcher), celle qui veut se battre (n°48, toujours opé pour un combat même perdu d’avance), celle qui n’aspire qu’à dormir (la n°3012, jamais assez caféinée, même les boissons énergisantes ne lui font plus rien), et celle qui continue d’y croire (hlilou la n°25, toute petite et mignonne, toujours pleine d’espoir). Il ne s’agit pas de faire taire les unes pour n’écouter que l’autre, mais d’apprendre à faire cohabiter ces contradictions, à les entendre et à les intégrer.
La résilience, ce n’est pas écraser ses failles (comme j’aime souvent le dire), mais les apprivoiser, les inclure dans la gestion de son territoire intérieur. C’est comprendre qu’on porte en soi des forces qui construisent, et d’autres qui détruisent, comme Athènes et Sparte coexistaient dans la même Grèce. Parfois, résister, c’est gouverner dans le chaos, sans mode d’emploi (qui l’a, de toute façon ? Toi peut-être ? Dans ce cas, envoie-le-moi en PDF, stp). C’est tenir bon même quand tout semble désert, même quand personne ne vote pour nous.
Et puis, dans les moments les plus difficiles, quand on a l’impression que tout s’effondre à l’intérieur, il reste ce geste essentiel (que dis-je, existentiel) : ne pas déserter sa propre cité. Rester là, avec soi-même, même dans le silence. Parce qu’un bon chef ne quitte pas sa ville. Il reste, il écoute, il réorganise, il reconstruit. C’est peut-être ça, au fond, le vrai cœur de la résilience : apprendre à se gouverner sans jamais se trahir.
Une citation pour réfléchir
"Le premier et le meilleur des conquérants est celui qui se conquiert lui-même."
Platon
19/06/2025
Des Mots et des Réflexions